De brefs souvenirs - Alice

J'avais reçu un message d'Alice très tôt dans la matinée. Ce message était plutôt inquiétant, Alice disait vouloir me voir au plus vite, que cela était important. De plus, elle disait ne pas pouvoir me dire de quoi il s’agissait puisque cela allait prendre beaucoup trop de temps. Dans ce cas, j'allais devoir attendre. Comme je n'avais pas envie d'attendre trop longtemps, je lui avais proposé de me rejoindre au café du centre commercial à dix heures, ce qu'elle avait évidemment acceptait. Réveillée, je n'avais plus d'autre choix que de me lever, aller déjeuner, me préparer, faire un peu de rangements chez moi, puis sauter dans ma voiture pour aller rejoindre le centre commercial et pouvoir retrouver Alice. Je n'aimais pas être en retard et faire attendre les autres. C'était peut-être un tort, car maintenant, c'était moi qui devais attendre. Alice ne devait arriver que dans un bon quart d'heure si elle n'avait pas de retard. Pas de problème, j'avais de quoi patienter. Je sortais un bouquin de mon sac à main. Bouquin que j'avais déjà à moitié dévoré la veille au soir. Pas étonnant sachant que ce livre était des plus passionnant. Comme tous les livres, que j'avais déjà ouvert et lu. Je commençais alors à ouvrir le bouquin pour pouvoir m'éloigner du monde qui m'entourait et me plonger dans cette merveilleuse histoire.

Depuis quelques semaines, il arrivait cette chose étrange à Alice. Comme des flashs, elle voyait la journée ce qu'elle rêvait parfois la nuit depuis qu'elle était toute petite. Ça la perturbait beaucoup. Ce n'était pas de simples pensées, mais plus comme si son cerveau essayait de lui dire quelque chose. Quelque chose qu'elle était incapable de comprendre. Naturellement, elle s'était tournée vers Belle, son amie. Elle ne préférait pas en parler à Juliette, elles travaillaient ensemble et elle craignait d'être jugée par celle qui était sa patronne. C'était stupide, mais elle n'en avait pas conscience. Alice avait alors contactée Belle, lui demandant de la rejoindre. Aujourd'hui, elle ne travaillait pas, alors elle avait accepté directement la proposition de Belle, celle de rejoindre son amie au café.

Prête, elle avait enfilé son manteau et s'était rendue sur le lieu de rendez-vous. Elle était pile à l'heure et plutôt fière d'elle. Elle trouvait son amie en train de lire. Sans attendre, elle s'était installée et sans attendre, sans la saluer, elle lui avait lancé : « Tu me trouves folle ? » Aucun contexte, rien, c'était compliqué comme question. Parce qu'Alice se trouvait elle-même un peu folle. Elle ne faisait rien comme tout le monde et se comportait comme une enfant. Pauvre Belle, chaque fois qu'elle voyait Alice, il y avait un problème. Là, elle devait gérer une enfant dans le corps d'une adulte, qui ne se souvenait de rien, si ce n'est de quelques images qui la troublaient énormément.  

Comme à mon habitude, j'étais arrivée un peu en avance sur le lieu du rendez-vous. Je n'aimais pas être en retard, alors je préférais toujours avoir un peu d'avance. De toute façon attendre ne me dérangeais pas, puis j'avais de quoi patienter, avec ce bouquin qui savait comment occuper toute mon attention et faire travailler mon esprit. Je ne faisais pas attention à l'heure ni même à ce qui m’entourait. C'était une douce voix qui ne m'était pas inconnue qui m'avait sorti de mon bouquin. Alice était là, un léger coup d’œil sur l'horloge qui trônait sur le mur d'en face, elle était à l'heure. Ce n'était pourtant pas dans ses habitudes, mais je n'allais pas lui reprocher ça. En revanche, elle ne me saluait même pas, elle s'était simplement assise en face de moi, en me disant quelques mots, pour savoir si je la prenais pour une folle ou non. Un peu étrange, mais je commençais à bien connaître Alice et elle n'était pas vraiment comme tout le monde, elle réagissait souvent étrangement, parfois comme une enfant pourrait le faire, mais pas comme une femme de son âge. « Alice, tu sais que la politesse est quelque chose de très important. Quand tu croises une personne il est bon de la saluer avant de commencer une conversation. » Je laissais un cours instant avant de reprendre la parole, juste le temps de fermer mon bouquin et de le déposer sur le bord de la table. « Je ne suis pas certaine de vraiment comprendre ta question. Est-ce que je te trouve folle. Dans des moments comme celui-ci, on ne peut pas réellement dire que tu ne l'es pas. Mais je peux savoir pourquoi cette question ? Quelqu'un t'as fait une remarque ? Quelque chose comme ça ? Racontes-moi. » J'avais parfois du mal à la comprendre. Il fallait dire qu'en même temps, ce n'était pas facile parfois. J'avais l'impression qu'elle ne pensait pas comme moi je pouvais penser. Mais j'avais l'habitude de la voir face à moi et dans cet état d'esprit. Je n'avais plus qu'à attendre qu'elle m'explique ce qui pouvais bien se passer dans sa tête pour que cette question soit la première chose qu'elle m'ait dite en me voyant.

Alice n'était pas mal élevée, mais comme une enfant, elle oubliait souvent toutes ces règles de politesse. Lorsqu'elle travaillait, elle s'efforçait de les appliquer une à une afin qu'on ne puisse rien lui reprocher, mais lorsqu'elle ne faisait plus attention, ce comportement n'avait rien de naturel pour elle. Alors oui, elle s'était installée et avait commencé à parler sans prendre le temps de saluer son amie ou de prendre de ses nouvelles. Aux mots de Belle, Alice s'était sentie rougir, comme une enfant gênée parce qu'on la réprimandait. Baissant les yeux, elle écoutait la suite. Belle ne semblait pas comprendre et demandait davantage de détails. Qu'Alice pouvait être bête parfois, ce qui était évident pour elle, ne l'était pas forcément pour les autres, surtout dans un cas comme celui-ci. Elle le savait, mais n'y avait pas pensé. Alors lorsque Belle n'avait plus rien à dire, elle avait commencé par s'excuser : « Je suis désolée Belle, c'est juste que j'attends depuis une éternité pour te poser cette question, alors j'ai été impatiente. Trop. » Avait-elle commencé. Elle exagérait avec son éternité, mais c'était comme ça qu'elle, elle l'avait vécu. « Comment tu vas ? » Essaya-t-elle de se rattraper auprès de son amie, avant d'enchaîner sur la raison de sa venue. « Non non, personne ne m'a fait de remarque, pas plus que d'habitude, mais... Il t'arrive de rêver quand tu es réveillée ? Je veux dire, depuis plusieurs semaines je pense à des trucs... Tu sais, c'est bizarre... C'est comme des souvenirs, mais de choses que je n'ai jamais vécu. Comme ci je rêvais, en fait. Tu vois, j'arrête pas de me dire qu'on peut changer de taille... C'est fou, non ? Et Dinah, c'est comme si, ce n'était pas elle... J'ai l'impression d'avoir déjà eu une autre Dinah... Et les animaux qui parlent. Eux me répondent, alors que ceux de la clinique refusent toujours. Pourtant, j'essaye.. Et ce lapin avec une montre, les lapins n'ont pas de montre, si ? Belle, tu crois que les lapins sont capable de lire l'heure ? C'est étrange, ça m'étonne, mais en même temps, j'ai l'impression de trouver ça normal. J'en rêve depuis que je suis toute petite de tout ça, mais là, c'est différent, j'ai l'impression d'y penser la journée, j'ai l'impression que c'est réel, mais ce n'est pas juste comme quand je repense à un rêve, c'est plus comme si je rêvais, mais je ne dors pas, j'te jure. Enfin, tu comprends ? » La réponse était certainement non. Tous ces mots n'avaient aucun sens, elle parlait comme ça lui venait, incapable de structurer un minimum ses idées. Il était vraiment temps que tout cela sorte, elle avait vraiment besoin de quelqu'un pour l'aider à comprendre.

« Ce n'est pas grave Alice, tu es pardonnée. Je te remercie, je vais bien et toi ? » Je connaissais déjà la réponse. Alice n'avait pas vraiment l'air d'allait bien, mais je me devais de lui poser la question. Elle m'avait tout de même demandé si je la trouvais folle. Une question plutôt étrange. Avec l'explication qu'elle venait de me fournir, je ne pouvais que me poser des questions et me dire qu'elle était peu être, en effet, folle. Elle avait l'air sérieuse et cette histoire avait vraiment l'air de la tourmenter. « Je ne suis pas certaine d'avoir compris tout ce que tu viens de me dire, mais je vais faire en sorte de te fournir une réponse complète. Pour ce qui est des rêves éveillés. Oui évidemment, il m'arrive d'en faire. Tu sais, on arrive très vite à se perdre dans nos pensées. Il me semble que tu m'as dit pendant plusieurs semaines. Je ne comprends pas bien. Tu penses souvent à la même chose ? Si c'est le cas, ce n'est pas étonnant, c'est possible. Je me remémore souvent des pensées, je repense souvent à quelques choses tous les jours. Après pour ce qui est des impressions de souvenirs. Tu sais, il est possible de croire avoir vécu quelque chose, avoir fait quelque chose alors qu'il n'en est rien en réalité. Il suffit simplement d'avoir rêvé de quelque chose un jour et de ne plus te souvenir si cette chose s'est passée dans ton rêve ou dans ta vie réelle. » Je marquais une courte pause, parce que jusque-là, je pouvais lui fournir des explications plausibles. Le reste de son histoire, du moins, ce que j'en avais retenu et compris semblait un peu plus étrange et complexe. « Alice, les animaux ne parlent pas, les lapins n'ont pas de montre et se fiche de savoir s'ils vont être à l'heure ou non, car les seuls rendez-vous qu'ils puissent avoir, c'est leur maître qui se souci de l'heure. Pour ce qui est de changer de taille. Alice, tu te rends bien compte que tout ce que tu me dis est tout bonnement impossible. Ton imagination te joue encore des tours. Oublie ça et arrête de croire que tes pensées sont des rêves éveillés, qui en réalité ne sont pas des rêves, où je ne sais pas trop quoi. » Mes paroles n'allaient certainement pas la rassurer. Mais en même temps, ce qu'elle racontait était absurde et incompréhensible, même Alice devrait s'en rendre compte. Son histoire n'était possible que dans les livres. Son imagination travaillait beaucoup trop.